Ensemble, on tue les préjugés

Denis Bournérias, retraité de 66 ans, bénévole d’une association, intervient chaque semaine auprès de lycéens de banlieue. Un engagement que le ministère veut encourager.

Goussainville (Val-d’Oise)

IL POURRAIT très bien rester chez lui, à Paris, dans le XVIe. Mais Denis Bournérias s’ennuierait. A sa manière, cet ancien financier de 66 ans a devancé l’appel aux bonnes volontés, lancé par l’Education Nationale pour une « réserve citoyenne » prête à intervenir dans les établissements scolaires. Voilà près de dix ans qu’il coache des jeunes de banlieue, avec Réussir Aujourd’hui, une association fondée par des hauts fonctionnaires et des cadres du privé. « Je suis là pour les aider à extérioriser leurs capacités scolaires, mais pas seulement, explique-t-il. J’aimerais contribuer à ce qu’ils se sentent des Français comme les autres, des citoyens à l’aise dans la société. »
C’est à Goussainville (Val-d’Oise) qu’on le retrouve, dans l’amphi du lycée polyvalent Romain-Rolland. Face à quinze ados de première, il distribue la parole, propose de prêter ses CD de violoncelle, fait passer des articles découpés dans le « Financial Times ». « Parle plus fort, on ne t’entend pas ! » répète-t-il aux jeunes filles. Depuis la rentrée, il passe tous ses mercredis après-midi avec ce groupe d’élèves, sélectionnés pour leur potentiel et leur motivation. Le lycée, grand bloc de briques et de béton, est une zone d’éducation prioritaire, classé « prévention violence ». Paris se rallie en quarante minutes par le RER D, et pourtant, certains des 1 600 élèves « n’y sont jamais allés, soutient la proviseur adjointe, Pacale Rolain. Le fait que des gens de l’extérieur viennent à eux est primordial. Hormis le médecin de famille, ils ne rencontrent jamais de notables ».

En jean et chemise, un peu nerveux quand il s’agit de parler de lui, Denis ne se campe pas en « notable ». Il dit simplement « vouloir rendre un peu » de ce que la république lui a donné. « Cette mission est très gratifiante. Ensemble, avec les lycéens, on tue les préjugés », résume-t-il. Non, la musique classique (sujet du jour) n’est pas une affaire de vieux schnocks. Oui, des ados de 16 ans peuvent se forger une opinion sur la nouvelle loi de sécurité intérieure (autre sujet du jour). Oui, ces mêmes ados ont le droit de nourrir des ambitions.
C’est par un ancien camarade de promo que Denis a connu l’association, il y a neuf ans, dans un de ces dîners où se tissent les réseaux d’anciens des grandes écoles, en l’occurence Sciences-po. Il avait 57 ans, une activité à son compte qui lui laissait un peu de temps. Il s’est lancé « sans a priori ».
Denis passe un jour par semaine à préparer ses séances. « Ce ne sont pas des cours, je ne prétends pas être professeur », insiste-t-il , prudent. « Certains profs se demandent quelles sont nos intentions », confie Denis. « Quelques-uns pensent que les élèves perdent leur temps avec ces programmes, et qu’ils feraient mieux de réviser », glisse une enseignante. Mais les élèves semblent avoir trouvé leur compte dans ces après-midi faits d’exposés et de tours de table, façon séminaire d’entreprise. « On se sent plus libres de parler, parce qu’on n’est pas face à nos profs », explique Sarah, une scientifique, qui rêve de Polytechnique. « On se tient informés de ce qui se passe dans le monde, on s’intègre à la société », estime aussi Saraï. Kabir, grand ado qui se verrait bien neurochirurgien, ne perd pas une miette de ses échanges avec Denis. « Le jour où on discutera avec nos patrons, anticipe-t-il, on aura des sujets de conversation. »

article du 30 mars 2015 – Le Parisien – Christel Brigaudeau